Le continent vert
« Nous y voilà, ça-y-est.
C’est drôle comme les rôles s’inversent.
Nous qui nous sommes toujours considérés comme le fleuron de l’adaptation, nous voila devenu une espèce en voie de disparition. Pas faute de nous avoir prévenu mais il faut croire que l’instinct de consommation prévaut sur celui de conservation... Alors on se raccroche à des rêves un peu fous. On se dit «peut-être qu’on est passé à côté de quelque chose ?
Peut-être que la réponse se trouve là où on a déjà cherché ? ».
On étudie, on décortique, c’est ce que l’on fait de mieux après tout, c’est ce que l’on a toujours fait, observer.
Observer pendant que la surface habitable se transforme progressivement en un vaste désert aride et inhospitalier.
Les végétaux nous ont toujours battu au jeu de la survie.
Même dans un environnement extrême, ces maîtres de l’adaptations arrivent à se développer.
C’est étrange de se dire que l’on disparaît mais que finalement le monde continuera de tourner. On dit « nous détruisons la planète » mais finalement nous ne détruisons que nous même, comme si la terre allait s’arrêter de tourner et l’univers de s’étendre juste pour saluer notre disparition ...
Dans un dernier élan d’espoir nous avons décidé de nous tourner vers les végétaux, ceux-là même qui ont toujours trouvé la force de grandir dans les conditions les plus impropres à la vie.
« Les plantes, voilà la solution ! », et puis de toute façon a-t-on une meilleur idée ? Après tout si ça peut nous occuper pendant nos derniers instants en nous donnant un peu d’espoir, pourquoi pas ?
Chercheurs, mécaniciens, médecins, scientifiques de tout poil, nous voilà donc tous lancés corps et âme dans cette course folle contre la montre, cherchant un moyen de s’adapter à notre tour. [...] »
Année 1, jour 126 du premier cycle.
Hieronymus M.Esfandiary, Docteur en Biologie moléculaire.
« Les choses ne vont pas en s’améliorant, nous avons été obligé d’accélérer le mouvement.
Les longues années d’études ne nous ont pas appris grand chose, nous devrons agir. La technologie a réglé nombres de nos problèmes par le passé mais cette fois-ci, elle ne se suffit plus à elle-même, nous devons donc l’associer au vivant, créer une nouvelle étape dans l’évolution humaine, provoquer le changement.
Cela demandera du temps et nous devrons tous nous unir pour avancer, mais c’est notre seul espoir face à cette crise.
Créer une ère où la vie elle-même fusionne avec la technologie est la suite logique de l’évolution, et nous sommes maintenant au delà du questionnement éthique que cela soulève puisqu’il en va maintenant de notre survie immédiate. La fin justifie les moyens après tout, d’abord la survie, plus tard les conséquences.
Mêler le vivant et l’inerte n’est pas chose facile et il nous faudra réinventer une nouvelle façon d’aborder la science. Bien sûr nous commencerons par des essais sur les végétaux, leur système étant bien moins complexe que le notre, mais je gage que nous arriverons vite à nous libérer des contraintes physiques qui nous astreignent et nous entraînent à notre perte. »
Jour 3 du deuxième cycle.
Charles Bülow Warming , Docteur en Bionique végétale.
Il ne reste plus grand chose de ce qui fit la grandeur de l’homo-sapiens. Quelques ruines, des vestiges, comme autant de fragments d’une trame complexe que tous semblent avoir maintenant oublié.
La fin logique d’une ère somme toute plutôt courte à l’échelle de l’univers mais étonnamment riche en bouleversements.
Un vent chaud balaie le sol d’est en ouest, charriant des effluves parfumées. Le continent vert n’a visiblement pas l’intention de s’arrêter dans sa conquête. Les hybrides se mettent en mouvement pour un nouveau cycle solaire, dans un bruissement de feuilles, de branches et de métal. Un frisson parcourt la totalité du réseau, le message est passé, il est temps de reprendre sa place dans le mécanisme complexe et bien huilé, résultat de nombreuses années de croissance. Les premiers rayons ultraviolets chargent les batteries et lancent le processus de photosynthèse, le ballet peut commencer.
S’il était doté d’une forme de conscience comparable à celle de l’homo-sapiens, le continent vert se demanderait sûrement si quelque part, ses créateurs le regardent...
Année 245, jour 51, Ère du post-végétal, Cycle du continent Vert.
